Ce fut un de mes premiers intérêt la première fois que j’ai avancé dans l’ésotérisme, et cela m’est revenu quand j’ai repris contact avec la sorcellerie, bien des années plus tard. Je ne sais d’où ça peut me venir, mais j’ai toujours senti un lien étroit avec la cartomancie. Comme si les cartes m’appelaient…
J’ai longtemps hésité à me lancer dans cette série d’articles, parce que c’est tout de même un très gros morceau… Mais il était grand temps que je parle de mon amour pour le Tarot de Marseille, avec cette présentation générale pour bien commencer.
Avant-propos : comme nous allons le voir tout au long de cet article, il existe de nombreux Tarots dits de Marseille, avec chacun ses spécificités. En ce qui me concerne, je me baserais avant tout sur deux Tarots de Marseille : celui que je possède (à savoir le Grimaud, suivant la version de Paul Marteau) et celui qu’utilise Alexandro Jodorowsky dans son livre (à savoir le Camoin).
Cela veut dire que si toutes les généralités que je vais évoquer ici peuvent s’appliquer a priori à tous les jeux de la tradition Marseille, il se peut que certaines différences s’opèrent selon le jeu que vous-mêmes possédez. Ce n’est donc ici qu’une analyse possible et non la vérité absolue sur le Tarot de Marseille.
Les origines du Tarot de Marseille
« Il y a fort longtemps, tous les sages hiérophantes, dépositaires de la tradition occulte de l’Égypte, s’étaient réunis pour débattre d’un très grave problème. De par leurs facultés prophétiques, ils avaient acquis la certitude que leur civilisation bientôt s’écroulerait. Et avec elle, les temples des dieux, et les écoles initiatiques où la Vérité se transmettait depuis toujours de maîtres à disciples. Il s’agissait donc de trouver un moyen de préserver de la destruction les points les plus importants de cette Vérité cachée, afin qu’elle puisse de nouveau être révélée le moment venu. « Gravons les textes de notre savoir ancestral sur les murs de pierre du temple le plus vénérable », proposa un des membres de l’assemblée. Mais on lui objecta que même le temple le plus solide ne résisterait pas aux ravages du temps et aux assauts des envahisseurs. « Gravons-les sur les plaques du métal le plus résistant », dit un autre. Mais on lui rétorqua que, si c’était un métal noble, il serait inévitablement sujet à la convoitise, et que si c’était un métal vil, il ne résisterait pas à la rouille. Un autre membre hasard : « confions nos arcanes à un homme simple et vertueux, qui, avant de mourir, les transmettra à un autre homme simple et vertueux, et ainsi de suite, jusqu’à ce que de nouveau, la Vérité puisse être professée et comprise ». Mais on lui répondit que même les âmes les plus pures seraient inévitablement sujettes à la tentation. Alors le plus jeune des adeptes parla ainsi : « servons-nous des vices, des péchés, des mauvaises passions de l’homme pour préserver le dépôt de nos doctrines secrètes. Exprimons celles-ci dans un ensemble de figures apparemment innocentes et qui, multipliées à l’infini, serviront à assouvir une des passions les plus vives de l’homme : la passion du jeu. Confions aux énergies du mal les germes de Vérité qui contiennent la condition du salut et du bonheur du monde ». Cette proposition fut acceptée. Les adeptes fixèrent en images symboliques les axiomes de leurs doctrines secrètes. Ils en firent un jeu qu’ils mirent en circulation et qui préserva de manière allégorique les Vérités cachées. Telle serait l’origine du jeu de Tarot. » (Histoire du Tarot, Isabelle Nadolny, 2018)
Un peu d’histoire…
Avec cette légende, aux sources plus qu’incertaines, comme le souligne Isabelle Nadolny dans son livre, on trouve un des mythes fondateurs du Tarot, transmis par des générations d’occultistes et de tarologues, donc les célèbres Papus et Court de Gébelin. Ce mythe sert d’ailleurs de base de réflexion à Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa, co-auteurices de La Voie du Tarot. Selon les différents ouvrages sur le sujet, le Tarot viendrait donc tout à la fois d’Égypte et des cultures cachées des Tziganes, Templiers, Cathares, Francs-maçons ou d’encore d’autres sociétés initiatiques occultes… Selon Jodorowsky, à propos de la symbolique sacrée présente dans le Tarot : « Il est possible qu’un groupe formé de sages des trois croyances [christianisme, judaïsme et islam], prévoyant une décadence de leurs religions qui, par soif de pouvoir, conduirait inévitablement à la haine entre sectes et à l’oubli de la tradition sacrée, se soient concertés pour déposer cette connaissance dans un humble jeu de cartes, ce qui équivaudrait à la préserver et à la dissimuler, afin qu’elle traverse les ténèbres de l’Histoire jusqu’à parvenir à un avenir lointain où des êtres d’un niveau de conscience élevée déchiffreraient son merveilleux message.«
Les jeux font partie intégrante de toutes les civilisations depuis l’Antiquité, et sont parfois même présents dans les mythes : Thôt ajoutant cinq jours au calendrier, suite à une partie de « jeu des tables », pour que Nout accouche, les jeux d’adresse pour conquérir Pénélope, Éros jouant aux osselets avec Ganymède, les Romains jouant aux dés la tunique du Christ, Perceval jouant contre un échiquier magique,… Et tout cela se mêle dans le Tarot : si le Soleil, la Lune, le char de guerre et la balance peuvent se rattacher à l’Égypte Antique, le Pape, le Diable, ou le Jugement dénotent clairement de l’idéologie chrétienne, tandis que la Justice, la Force et la Tempérance sont des héritages de l’Empire Romain… Et à tout cela s’ajoutent des symboles venant des cultures hébraïques et arabiques.
Parallèlement au développement des jeux sous diverses formes, l’aspect divinatoire resta toujours étroitement liée au domaine ludique. Car dans les deux domaines, hasard et chance font la paire, soulignant le côté aléatoire de l’existence et de la partie, figuré par la Fortune, figure féminine , souvent aveugle, et dotée d’une roue… que l’on retrouve sur la carte de Tarot de La Roue de Fortune. Évidemment, à cause de cet attrait pour la divination, les jeux de cartes n’ont pas eu bonne presse au Moyen Âge… mais pas seulement : les philosophes grecs voyaient aussi cela comme une perte de temps, tandis que les jeux de hasard et d’argent étaient considérés comme un délit dans la législation romaine. Mais évidemment, c’est au Moyen Âge qu’on poussa l’interdiction plus loin en faisant du Diable lui-même l’inventeur des jeux. Cela n’a cependant pas empêché l’Occident de beaucoup jouer (on dénombre par exemple plus de six cents façons de jouer aux dés…).
Cependant, il faut attendre la fin du 14e siècle pour voir mentionnés les jeux de cartes, et bien que l’absence de mention ne signifie pas qu’elles n’existaient pas, on suppose qu’avant 1370, les cartes à jouer ne représentaient une menace suffisante pour être mentionnées dans les interdits. Quant à l’origine de ces cartes, l’hypothèse la plus répandue et qui semble attestée par de nombreux témoignages la place justement en Orient, avec le célèbre jeux enluminé des Mamelouks (qui ont régné sur l’Égypte, la Syrie et l’Arabie de 1250 à 1517), introduit très certainement en Europe à partir de Venise, qui entretenait des liens étroits avec l’Orient. Mais sur ce point, des questions se posent : s’il existe bien des cartes en Chine, on n’en trouve pas trace avant 1400 et rien ne prouve qu’elles ont pu être ramenées en Europe. De même, on ne trouve aucune mention écrite de cartes à jouer dans la littérature arabe ou maure, et on sait que le Coran interdit les jeux de hasard et les images d’être vivants… D’où une autre hypothèse : le jeu des Mamelouks serait peut être une copie d’un jeu italien, et cela semble corroboré par les similitudes présentes dans les premiers Tarots des Visconti. D’autres situent même la création des cartes en Allemagne, toujours à la fin du 14e siècle, ou encore au 15e siècle par les Bohémiens, que l’on dit dépositaires du Tarot initiatique (seulement, on sait qu’ils sont arrivés à Paris après les cartes…).
La question est donc de savoir dans quel sens se situe la parenté… Et c’est là que la réflexion de Jodorowsky prend tout son sens : et si les trois grandes cultures de l’Europe de la Renaissance s’étaient alliées pour créer le Tarot pour conserver les secrets de la Vérité, encore inatteignables pour le commun des mortels ? La seule vérité que l’on possède aujourd’hui sur le Tarot, c’est bien qu’on ne pourra faire qu’émettre des théories quant à sa naissance.
Mais d’où vient le nom du Tarot ?
Si l’appellation « carte » vient du latin « charta« , qui veut dire tout simplement « papier sur lequel on écrit », l’étymologie du mot « tarot » est moins évidente.
D’abord parce qu’avant 1500, on désignait en Italie le Tarot sous le terme « trionfi« , et plus tard on trouve ce jeu sous la dénomination « tarocchi« , dérivant probablement de « tara« , signifiant « perte de valeur ». Dans la culture populaire de l’époque, on trouve également un autre terme, plus familier : « taraux » (le mot « tarau » est attesté depuis 1505 en France, et on le trouve en 1535 sous la plume de Rabelais dans Gargantua). Ce qui force à considérer qu’il n’existe pas de racine grecque ou latine (ou de toute autre langue ancienne) au mot Tarot, même si certains s’y sont essayés… Peut être est-ce possible, mais ce n’est hélas pas vérifiable.
On trouve aussi, entre 1512 et 1532, le terme « taroch« , jugé à l’époque « barbare » (c’est à dire soit vulgaire/familier ou moderne pour l’époque) ou encore « tarochus« , les deux signifiant « fou, idiot ».. On évoque parfois le lien avec « rota » (la roue) ou « orat » (« il prie/parle »), mais de fait il s’agirait là d’anagrammes et non d’étymologie. On a aussi parfois rapproché le nom de ce jeu avec la Torah, pour justifier des racines hébraïques, mais ceci fut également écarté, car sans fondement. Tout comme on a écarté les liens avec la kabbale puisque cela n’expliquait en rien la naissance du mot tarot.
D’autres rapprochements encore ont été fait avec l’égyptien antique (pour Court de Gébelin cela viendrait de « tar » et « ra/ro« , signifiant « chemin royal », mais les hiéroglyphes n’ayant pas été traduits à son époque, on peut se demander d’où lui venait cette certitude), le sanskrit (« tar-o » signifiant « étoile »), du chinois (« tao » pour « sagesse »), de la langue tzigane (« tar » signifiant « paquet de cartes », dérivé lui-même du mot hindou « taru« ). On a dit aussi que cela pouvait venir tout simplement de la vallée du Taro en Italie (proche géographiquement du lieu où l’on situait à une époque la naissance du Tarot, quand il se nommait « trionfi« ). Et plus invraisemblable encore, on évoqua aussi des origines jusqu’en Birmanie (dans le village de Taro) et au Tibet (vers le lac de Tarok-Tso)…
Plus récemment, au 20e siècle, on proposa une racine arabe : « tarh« , du verbe « taraha« , « rejeter, déduire », mots à l’origine de notre « tare », c’est à dire la déduction du poids d’un contenant pour peser précisément le contenu. Cette idée à été retenue pas Thierry Depaulis, en lien avec le fonctionnant du jeu du Tarot qui consiste à enlever à son adversaire des points, ou de jouer en mettant de côté des cartes par déduction… A cette hypothèse, jugée plausible, on a aussi ajouté la racine castillane « tarea« , qui a la même origine arabe mais signifie « lancer/distribuer/tirer ». Enfin, une autre hypothèse voudrait que, tout simplement, le mot Tarot soit dérivé des exclamations des joueurs en italien : « ti arrocco » ou « t’arrocco« , signifiant « je t’attaque » ou « je t’oblige à te défendre ». Cela serait alors également en lien avec le mot italien « tarocco« , dérivé de « taroccare« , soit « se mettre en colère » et voulant alors dire « répondre par une carte plus forte »…
Et tout ceci n’est même pas exhaustif ! Comme vous pouvez donc le voir, le Tarot est réellement mystérieux, tant par son origine propre que par celle de son nom. Là encore, nous avons tout de même certaines certitudes : l’appellation « Tarot de Marseille » nous vient de Papus et a été popularisée dès 1930 par Paul Marteau, qui a appelé sa version, destinée au marché de la cartomancie, « Ancien Tarot de Marseille ».
L’architecture du Tarot de Marseille
Jodorowsky nous rapporte dans son livre que J. Maxwell, auteur de « Le Tarot, le symbole, les arcanes, la divination« , serait le premier à avoir reconnu que « le Tarot de Marseille est un langage optique et que pour le comprendre il faut le regarder ». Encore faut-il savoir quoi regarder, et surtout comment le regarder et le décoder, car si les figures sont assez lisibles, les Arcanes mineurs de 1 à 10 sont bien plus hermétiques à la lecture pour les néophytes.
Avant d’aller plus loin, je tiens à présenter un nouvel avertissement : ce que je vais exposer ci-après n’est pas LA vérité absolue quant à la structure du Tarot (et il en va de même pour la numérologie et les couleurs). Je partage la vision globale de Jodorowsky et Costa sur le Tarot de Marseille, parce que cette vision des choses me parle. Mais il est évident que cela ne peut pas faire écho pour tout le monde, et peut être avez-vous d’autres schémas de lecture (qu’il me serait agréable de lire si vous désirez les partager en commentaire !). Enfin, je mettrais de côté ici toute la dimension astrologique que beaucoup aiment à rajouter au tarot (peu importe la tradition) : non pas que je n’aime pas cela, bien au contraire, mais parce qu’il existe trop de correspondances différentes pour pouvoir n’en retenir qu’une de manière objective.
Pour lire le Tarot, donc, il faut en connaître les clés. Et pour cela, il faut comprendre tout d’abord comment les cartes s’articulent entre elles.
Composition générale
Avant toute chose, il est bon de rappeler de quoi nous parlons exactement. Le Tarot de Marseille est un Tarot divinatoire composé de 78 cartes divisées en deux catégories : 22 Arcanes majeurs et 56 Arcanes mineurs (à noter que certaines personnes emploient Arcanes au féminins, en ce qui me concerne, comme cela vient du latin « arcanum« , qui veut dire secret, je l’emploie au masculin mais vous faites comme vous le sentez). Sachez que je détaillerais ces deux groupes plus tard, dans deux futurs articles.
Les Arcanes majeurs sont les cartes les plus importantes, et de nombreuses personnes n’utilisent que celles-ci pour leurs travaux divinatoires. Mais les mineurs servent aussi à cet usage, ils sont juste plus ardus à comprendre de par leurs visuels beaucoup moins explicites ou intuitifs, et se passer de ces 56 cartes, c’est tout de même perdre une partie de l’essence même du Tarot…
Il faut noter que tous les Arcanes sont contenus dans un rectangle noir ayant les proportions d’un double carré. Les Arcanes mineurs comptent 40 cartes numériques (de 1 à 10) n’ayant aucun cartouche, et portant toutes leur numéro, excepté les As et les Deniers. Les Figures, ou Honneurs (Valets, Reynes, Roys, Cavaliers… oui, dans cet ordre, cela peut paraître étrange mais il y a une logique symbolique là-dedans, mais chut, vous saurez tout une prochaine fois !) ont toutes un cartouche en bas indiquant leur titre, excepté le Valet de Denier dont le nom figure sur le côté droit de la carte, écrit latéralement. Les Arcanes majeurs, par contre, ont deux cartouches : un en bas avec leur nom (sauf pour l’Arcane XIII, aussi appelée « l’Arcane sans nom », qui n’a que le cartouche du haut), et un en haut avec leur numéro (présent mais vide pour Le Mat).
L’organisation des Arcanes majeurs
Le premier pas pour se familiariser avec le Tarot est de commencer avec les Arcanes majeurs. Il est vrai que commencer par 22 cartes c’est déjà plus simple que 56… Mais surtout, le visuel est tout de même bien plus clair ou évident. Dans La Voie du Tarot, on nous livre une méthode très intéressante, qui peut être assez déroutante de prime abord, mais qui est justifiée et fait sens une fois qu’on a les cartes sous les yeux. Il est dit de commencer par enlever du paquet Le Mat et Le Monde, le début et la fin, puis d’étaler les cartes en deux rangées, l’une au-dessus de l’autre. La rangée du haut va du 1, Le Bateleur, jusqu’au 10, La Roue de Fortune, et celle du dessous va du 11, La Force, jusqu’au 20, Le Jugement. Ensuite on encadre ces deux rangées avec Le Mat du côté gauche (donc près des Arcanes 1 et 11) et Le Monde à droite (à côté des Arcanes 10 et 20).
Puisque j’en parlerais dans mon prochain article sur le tarot de Marseille, je n’irais pas plus loin dans mon analyse ici, mais si vous faites chez vous cet exercice vous pourrez voir se dégager certaines impressions, notamment concernant les regards, les postures, les mises en scène et les sujets. Loin de permettre de tout comprendre, cette méthode permet de visualiser les points communs et les différences entre chaque Arcane majeur, et de fait de comprendre leurs relations entre eux. Cette étude préliminaire est là le premier pas pour s’entraîner à la lecture du Tarot : notez ce qui vous vient naturellement, sans même chercher à trouver un sens particulier (par exemple est-ce que telle carte vous apaise ou vous fait peur ? Telle autre vous semble-t-elle familière ? Une autre encore vous paraît-elle imposante ?…).
Le Monde, miroir du Tarot et clé d’orientation
Ici il ne sera pas question de lire cet Arcane dans son sens divinatoire, mais bien de le déchiffrer pour en tirer les règles de lectures du Tarot, donc certaines déjà évoquées. Le Monde symbolise l’aboutissement et « la réalisation la plus grande que le Tarot puisse nous présenter » (Jodorowsky, La Voie du Tarot). Toute la structure même du Tarot s’y reflète, ce qui en fait une clé pour comprendre l’organisation spatiale et symbolique de l’ensemble des Arcanes.
Pour celleux qui ont lu la Bible, visuellement Le Monde rappelle la Vision d’Ézéchiel (Ez 1, 1-14) et qu’on retrouve aussi dans l’Apocalypse (4, 7-8), et ainsi les quatre créatures, toutes ailées, présentes aux coins de la carte font penser aux Quatre Vivants (qui sont également les symboles des quatre évangélistes : l’ange pour Matthieu, l’aigle pour Jean, le taureau pour Luc, et le lion pour Marc).
On pourrait aisément voir dans Le Monde un Christ en majesté, si le personnage dans la mandorle (l’amande ovale, bleue claire dans le Tarot restauré de Camoin, jaune, rouge et bleu foncé dans la version Marteau/Grimaud) n’était pas une femme… Dans cette mandorle, on peut y voir un rappel des rôles du Mat et du Monde, car la mandorle symbolise à la fois l’alpha et l’oméga. Autre différence avec le Christ en gloire : la femme est nue, n’a pas les mains tournées vers nous paume vers l’avant – elle porte des objets – et surtout n’a pas les jambes serrées et immobile. A y regarder de près, elle a la même posture que Le Pendu (les créatures des coins sont aussi présentes dans d’autres Arcanes, du moins si l’on rapproche le taureau avec les chevaux du Chariot). Notons également l’ordre des créatures : dans la Bible, on les voit en commençant par le lion, puis le taureau, l’homme ailé et enfin l’aigle. Pour suivre cet ordre sur Le Monde, il faut partir du coin inférieur droit et remonter dans le sens des aiguilles d’une montre vers le coin supérieur droit. Comme le monde tourne…
Mais de fait, en la présence d’une femme et non d’homme, le Tarot s’affranchit ici de la symbolique religieuse. Cette figure féminine peut être perçue comme l’âme du monde (à laquelle Le Mat insuffle donc l’énergie créatrice). Les quatre créatures aux coins deviennent alors des éléments constitutifs de la réalité, comme les points cardinaux. On aurait donc au centre l’essence, l’âme, l’énergie réceptive, entourée de quatre éléments.
La partie inférieure est composée de deux animaux terrestres tandis que la partie supérieures contient deux être célestes : on a donc le découpage bas-terre et haut-ciel qui structure la carte et qui se retrouve, sans surprise, dans tous les autres Arcanes majeurs.
Une autre structure, latérale cette fois, est visible si l’on s’attache à observer le type d’animaux présents : à droite, le côté actif avec deux animaux carnassiers, prédateurs, le lion et l’aigle, faisant écho au bâton, symbole actif, tenu par la femme au centre. A gauche, l’inverse, le côté réceptif, avec un herbivore en bas et un ange, symbole d’amour inconditionnel et de don, porteur du message divin, en haut, faisant eux aussi écho à la bourse ou à la fiole portée par la femme de ce côté de l’image, tous deux objets réceptifs également. Fonctionnant en miroir, Le Monde nous renvoie l’image de notre droite et de notre gauche. Cette structure en cinq parties ou « quatre parties plus un centre », comme le présente Jodorowsky, rappelle la structure même du Tarot : quatre séries d’Arcanes mineurs, chaque Couleur renvoyant à un coin, et une série d’Arcanes majeurs rappelant l’ovale central.
L’organisation des Arcanes mineurs
Ici c’est assez typique et cela correspond à une sorte de « loi » qui veut que tout soit en quatre parties dont une est différente des trois autres, et que dans ce trinôme deux se ressemblent davantage. On peut résumer cela à une formule : ([1+2]+3)+4, et on peut même, comme l’exemplifie Jodorowsky dans son livre, retrouver cette formule dans les religions, mythologies et même la réalité : la Sainte Trinité et la Vierge Marie ([Père + Saint Esprit]+ Jésus-Christ)+ Vierge Marie, les Nobles Vérités du Bouddhisme ([Désir + Cupidité]+ Souffrance)+ Voie du Milieu, les quatre éléments ([Air + Feu]+ Eau)+ Terre, les éléments du visage humaine ([Oreilles + Yeux]+ Narines)+ Bouche,… Selon cette loi, on peut trouver de nombreuses organisations similaires dans les Arcanes mineurs.
Les Arcanes mineurs sont donc organisés en quatre Couleurs ou Suites : Épée, Coupe, Bâton et Deniers (écrit ainsi, j’y reviens plus tard). Petite astuce pour faire la distinction entre Épée et Bâton : pour les cartes de 2 à 10, il faut garder en mémoire que les Épées sont courbes et disposées en ovale, tandis que les Bâtons sont raides et disposés en croix.
Chaque Couleur présente de nombreux détails permettant de voir la correspondance avec les quatre symboles du Monde. Pour s’en rendre compte, il suffit de les observer, en commençant par les séparer en quatre tas distincts, puis de séparer dans chaque tas les cartes ordonnées de 1 à 10 et les Figures (ou Honneurs), et enfin de prélever les Valets et de les présenter en carré (de gauche à droite et de haut en bas : Coupe, Épée, Deniers, Bâton). Ces Valets donnent ici quelques indices sur leurs symboles respectifs, corroborant le parallèle avec la carte du Monde et attestant l’orientation spatiale du Tarot. Les Valets à gauche tiennent leur symbole dans la main correspondant en miroir à notre main gauche, c’est le côté réceptif, tandis que les Valets à droite tiennent leur symbole du côté droit de l’image, le miroir de notre main droite, le côté actif. Dans le même temps, la position des pieds indique également leur niveau d’activité et de réceptivité. Le Valet d’Épée avec les pieds dans deux directions montre une tendance active avec une tonalité réceptive, et avec son épée pointée vers le ciel, il s’apparente donc à l’Aigle, actif et céleste. Le Valet de Coupe est entièrement tourné vers la gauche, il est totalement dans la réceptivité, et lui aussi tend son symbole, ouvert et donc lui aussi réceptif, vers le ciel, et ainsi il s’apparente à l’Ange, réceptif et céleste. Le Valet de Deniers est comme son confrère d’Épée entre réceptivité et activité avec ses deux pieds dans deux directions opposées, et montre son symbole à la fois dans sa main levée et sur le sol. Réceptif et terrestre, il s’apparente au Taureau. Enfin, le Valet de Bâton, résolument tourné vers la droite (au point qu’il tourne le dos) et tient son bâton posé sur le sol : il est actif et terrestre et s’apparente ainsi au Lion.
Pour appuyer ces observations, il suffit alors d’analyser les quatre Couleurs en parallèle à l’Arcane 21 tout en suivant la loi du ([1+2]+3)+4. Dans Le Monde, toutes les créatures portent une auréole, sauf le Taureau (ici, c’est lui le 4 de la loi de composition). En analysant les Couleurs ont peut aussi trouver cette similitude : toutes les Couleurs sont numérotées sauf les Deniers (nouvelle occurrence de la loi de composition). De même, toutes les Couleurs sont désignées au singulier sur les Figures, sauf les Deniers qui sont toujours au pluriel, ou encore l’As de Deniers est le seul qui peut être regardé dans tous les sens, rien n’indiquant sa direction… On peut donc imaginer que les Deniers sont assimilables au Taureau dans le coin inférieur gauche, réceptif et terrestre. Le côté droit du Monde est actif, avec deux animaux de proie : dans les trois couleurs qui restent, les deux semblables sont les Épées et les Bâtons, qui présentent les 5 avec les pointes des V vers l’intérieur de la carte, tandis que les Coupes présentent les V avec la pointe vers l’extérieur. Autre point commun, les As d’Épée et de Bâton sont fait sur le même schéma : une main sortant d’un nuage tient le symbole de sa Couleur, pointant vers le haut, tandis que la Coupe est immobile. L’épée étant forgée par la main de l’homme et le bâton étant un élément naturel de la terre, on peut donc définir que les Épées sont assimilables à l’Aigle et les Bâtons au Lion. Et ainsi il reste la Coupe, symbole du Saint Graal, qu’on peut attribuer à l’Ange.
En reprenant la carte du Monde, on peut donc visualiser les quatre créatures comme étant chacune une des énergies de l’être humain, toutes distinctes mais nécessaires, et unies par une même conscience (au centre). L’épée est le symbole traditionnel du Verbe, et l’Aigle est lié à l’Air. La coupe est le symbole christique du Graal, le calice ouvragé réceptif, également symbole antique de l’amour, et l’Ange est lié à l’Eau. Le bâton pousse naturellement, il ne se fabrique pas, mais on peut le choisir, l’élaguer, le modifier,… Il représente la force de la nature qui grandit, la puissance créative et sexuelle, et le Lion est lié au Feu. Le denier est à la fois reçu (minerai dans la terre) et forgé (la monnaie qui est frappée), et il en va de même pour notre corps, et le Taureau est lié à la Terre.
Et ainsi, avec toutes ces différentes règles de composition qui structurent le tarot de Marseille, on obtient le schéma ci-dessous, qui permet de donner un sens général aux cinq grands groupes que sont les Arcanes majeurs et les quatre Couleurs/Suites composant les Arcanes mineurs.
La numérologie dans le Tarot de Marseille
Le Tarot de Marseille se lit suivant dix degrés qui se répètent : si l’on enlève Le Mat et Le Monde, puisqu’ils sont le début et la fin, ainsi que les figures des Couleurs, qui sont à mettre à part puisque sans numérotation, on obtient alors six séries de dix cartes (les Arcanes majeurs de 1 à 10 et de 11 à 20, puis les cartes de 1 à 10 pour chaque Couleur). Ces six séries représentent alors les six aspects de chaque nombre, avec à chaque fois, donc, deux Arcanes majeurs souvent en dualité féminin/masculin, deux symboles actifs et deux symboles réceptifs (ce qui permet d’éliminer l’idée qu’il y ait des nombres féminins et d’autres masculins, tout en associant activité et réceptivité respectivement aux nombre impairs et pairs).
Pour ce qui est de la lecture des nombres figurant dans les dessins des cartes, il est préférable de se demander à quoi ils font référence dans la symbolique propre au Tarot, dans la version que l’on utilise, plutôt que de chercher à en trouver le sens numérologique pur. Par exemple, pour le Bateleur (1) : dans celui de Marteau/Grimaud, les deux dés sur la table montrent le nombre 15, qui renvoie donc à l’Arcane du Diable, tandis que dans la version restaurée de Camoin, il y a trois dés montrant chacun le chiffre 7, indiquant par leur addition le nombre 21, soit Le Monde. Ainsi, chaque Arcane est lié aux autres, notamment concernant les Arcanes majeurs.
Petit point concernant ce « 3*7=21« . Philippe Camoin a théorisé cette opération en créant un diagramme découpant les Arcanes majeurs en trois séries de sept cartes (et qu’on appelle simplement le « Diagramme Camoin 3×7 »), en utilisant les dés du Bateleur : la plus haute valeur des Arcanes majeurs étant le 21, ces trois dés indiquant 7 ne sont pour Camoin pas anodins et témoigneraient du schéma décimal du Tarot. Si cela se vérifie pour les Arcanes majeurs, à condition d’écarter Le Mat (qui n’a aucune valeur numérique), on ne le retrouve pas de prime abord dans les Arcanes mineurs… sauf si l’on intègre les figures, puisque chaque Couleurs comporte en tout quatorze cartes. Sur ce point, je considère que cela est un peu trop tiré par les cheveux… mais c’est néanmoins assez intéressant.
Les dix degrés du Tarot
Pour présenter le modèle numérologique du Tarot, Jodorowsky nous fait faire un petit exercice de « pliage ». On commence avec un rectangle dont la longueur doit être exactement le double de la largeur. Cette forme symbolise l’unité, la totalité. On fait ensuite une première pliure verticale, au centre, créant ainsi la division gauche-droite, c’est à dire pour la Tarot réceptivité-action. Puis on plie horizontalement cette fois, toujours au centre (on divise donc le rectangle en deux carrés), pour obtenir le Ciel en haut et la Terre en bas. A ce stade, on se retrouve donc avec quatre parties égales, comme dans Le Monde. A présent, on plie chaque carré horizontalement, en leur milieu, et on obtient au final huit petits carrés égaux. Les quatre carrés centraux, jonctions du Ciel (qu’on peut voir comme le Père) et de la Terre (qu’on peut voir comme la Mère), représentent l’humain (que les deux « parents » engendrent). Maintenant qu’on a nos huit divisions, on peut placer la numérotation. Si on replie tout, on obtient un carré, le tout, le 1. Nous plaçons ce chiffre sous le rectangle. L’aspect déplié, multiple, totalement développé, gagne lui le nombre 10, placé au sommet du rectangle. Il reste alors à organiser les chiffres de 2 à 9… Les chiffres pairs sont à gauche, car ils sont réceptifs, stables et divisibles par 2. Les chiffres impairs seront donc à droite, puisqu’ils sont actifs, instables et non-divisibles par 2.
La numérologie se déploie donc, c’est une évolution du 1 au 10, et qu’on doit imaginer en perpétuelle mutation, comme le cycle des saisons :
- Au degré 1, la totalité est en puissance, c’est une graine, un début, un potentiel, tout est encore à faire, comme le premier mois de gestation.
- Au degré 2, on entre dans le carré Terre, c’est un état réceptif de gestation, il faut accumuler des forces, des désirs, des idées, des sentiments, pour se préparer à l’action.
- Au degré 3, c’est la première action du carré Terre, un éclatement, une explosion créative sans expérience et sans finalité précise.
- Au degré 4, cette action se stabilise. Le 4 représente la perfection du carré Terre : domination de la vie matérielle, clarté des idées, tranquillité émotionnelle… Stable comme une table sur ses quatre pieds.
- Au degré 5 est un passage, le dernier du carré Terre : il introduit un idéal qui déséquilibre la stabilité du 4 pour la dépasser, c’est un pont.
- Au degré 6 est le premier pas dans le carré Ciel : la première fois que nous faisons ce qui nous plaît dans tous les plans. Au-delà de nécessités matérielles, on ose faire ce que l’on aime.
- Au degré 7, ce plaisir devient une forte action dans le monde, plus mûre et plus intense que dans le 3 car elle est fondée sur l’expérience de tous les degrés précédents et se propose un but.
- Au degré 8, on arrive à la perfection du carré Ciel, c’est l’équilibre et la réceptivité totale, un état qui ne peut pas être amélioré : parfaite abondance matérielle, parfaite concentration énergétique, plénitude du cœur, vide de l’esprit.
- Au degré 9, on voit la seule évolution possible à la perfection : l’entrée en crise pour favoriser, le passage vers l’inconnu e la fin du cycle. Le 9 accepte d’abandonner la perfection et de se mettre en mouvement sans savoir vers où.
- Au degré 10, c’est la totalité accomplie, le symbole de la fin du cycle qui permet que se manifeste le début du nouveau cycle.
En suivant ce schéma étape par étape, on voit émerger quatre couples, aux quatre niveaux successifs du rectangle : 2 et 3 sont lourds, énergiques, adolescents ; 4 et 5 sont encore dans la matière mais adultes ; 6 et 7 sont raffinés et actifs, on sait où l’on va ; 8 et 9 s’unissent pour permettre l’évolution. Chaque degré de la numérologie a pour vocation d’évoluer vers le degré suivant, ainsi donc, ces couples peuvent donc représenter soit une évolution (du moins vers le plus), soit un conflit (réceptif-actif), soit une stagnation (du plus vers le moins). Étudier cette dynamique des degrés avec les Arcanes majeurs de la première série de 10 (I à X) permet de la rendre plus concrète, de l’éclairer (chaque degré correspondant à l’Arcane ayant le même numéro).
Tout comme le 1 et le 10 sont en correspondance, en représentant chacun deux aspects de la totalité, nous pouvons établir des correspondances entre les quatre degrés des carrés Ciel (6 à 9) et Terre (2 à 5), en suivant le sens de lecture du bas vers le haut et de gauche à droite :
- Degrés 2 & 6 : les premiers pas dans chaque carré. Le 2 accumule, se développe, se nourrit, et dans les Arcanes mineurs c’est là où les symboles sont les plus gros. Au 6, la qualité remplace la quantité, l’élément central devient le plaisir et l’amour, source de toute activité spirituelle.
- Degrés 3 & 7 : le 3 représente l’explosion aveugle de la matière et le 7 unit la matière à l’esprit dans une action consciente, en pleine connaissance du monde et de soi-même.
- Degrés 4 & 8 : le simple carré du 4 représente l’équilibre terrestre auquel le double carré du 8 ajoute la perfection spirituelle.
- Degrés 5 & 9 : ces étapes représentent un passage, le 5 est prêt à quitter la Terre et envisage la dimension supérieure (ou plus profonde) et le 9, sage et solitaire, accepte de se mettre en route vers l’inconnu, à l’image de L’Hermite marchant à reculons sans savoir où il va.
Dans le carré Humain (4 à 7), le premier pas est fait au 4, c’est l’être humain adulte, stable et capable de subvenir à ses besoins. La première action est spirituelle avec la tentation du 5 ouvrant la voie à un monde nouveau (du la Terre vers le Ciel). La perfection du carré Humain s’exprime au 6, c’est la découverte du principe d’Amour. Comme avec Le Chariot en marche vers cette perfection, c’est l’annonce d’une autre dimension : celle de la pérennité et de l’action dans le monde.
Un peu de couleurs…
Si chaque culture, religion et tradition donne sa propre vision du symbolisme des couleurs, il y a cependant une base commune, qui serait que le « combat » entre la lumière et l’obscurité aurait engendré les couleurs. Et ainsi, selon ce qui prédomine entre lumière ou obscurité, on peut voir une sorte de gamme. Le Tarot montre, dans sa version restaurée par Camoin, les couleurs dans toute leur diversité, mais sans toutefois leur donner un ordre précis. Les couleurs sont ambivalentes : leur signification n’est ni négative ni positive, et compte tenu des différences entre les cultures on ne peut produire un système d’équivalences strictes. De fait, les pistes proposées dans « La Voie du Tarot » et que je reprendrais ci-après ne sont que des propositions ouvertes et non définitivement fixées.
Symbolique des couleurs
- Noir : renvoie à deux notions opposées et complémentaires. L’idée du vide d’une part (absence totale de lumière, aucune couleur), où on arrête la pensée et où on rentre dans le néant, et d’autre part il serait comme le magma créateur qui contiendrait tous les germes de la vie, le nigredo alchimique (« masse amorphe de pourriture qui sert de terreau à la pureté« ).
- Blanc : union lumineuse de toutes les couleurs, réalisation où tout arrive à l’unité parfaite, à la purification. Antithèse de la chair et du noir. Du point de vue négatif, renvoie à la froideur mortelle de la neige, de la peur. Couleur de Dieu ou celle de la mort.
Le noir et le blanc déterminent les extrêmes entre lesquels se situent les autres couleurs. Au centre, on peut placer la couleur dite « chair » (beige).
- Beige : « couleur spécifique de la peau humaine dans l’aire culturelle occidentale où se déploie le Tarot », selon la description donnée par Jodorowsky. Évoque la chair vivante, la vie présente (par extension le noir serait le présent et le blanc l’avenir). Cette couleur n’est ni négative ni positive en soi : elle adopte toutes les formes psychiques de l’être humain, le bien comme le mal. C’est l’ambigu par excellence, tous les opposés se réunissent dans cette couleur.
Le domaine de la vie matérielle regroupe le vert et le rouge :
- Vert : couleur vitale liée à l’exubérance, évoque la Nature dominante, l’éternelle naissance, et la perpétuelle transformation. Symbole de l’éternité en Islam. Le vert est un « éclatement de vie sur place » : la vie végétale agit seulement là où elle a ses racines, de fait le vert peut aussi signifier l’absorption ou l’engloutissement. Dans l’inconscient le vert évoque l’attachement à la mère (pouvant conduire à une privation de liberté ou à l’ensevelissement).
- Rouge : peut représenter la partie active de la terre, à savoir le feu central, la chaleur, le sang. Couleur de l’activité par excellence. De manière négative, évoque la violence du sang versé, le danger, l’interdiction. Si le sang est à l’extérieur il signifie la mort, s’il circule dans le corps c’est la vie.
Le domaine céleste regroupe le bleu et le jaune :
- Bleu : couleur de la réception, du ciel et de l’océan. Évoque aussi l’attachement au père. Côté négatif, peut signifier l’immobilisation, l’asphyxie (quand le sang n’est plus oxygéné il devient bleu).
- Jaune : « lumière de l’intellect et de la conscience », comparé avec l’or comme symbole de richesse spirituelle (en alchimie, la pierre philosophale transmue les métaux en or). Le point négatif évoque la sécheresse.
Et à part des autres la dernière couleur :
- Violet : union des deux extrêmes (rouge actif + bleu réceptif) représentant la sagesse suprême (le Christ parle à ses disciple vêtu de rouge mais porte du violet lorsqu’il est crucifié, en pleine sagesse). Le violet est aussi la couleur du sacrifice et est identifié aux rites mortuaires. Mais on peut surtout le voir comme la mort de l’ego. Il y a peu de violet dans le Tarot de Marseille (il n’y en a d’ailleurs pas du tout dans la version Marteau/Grimaud, par exemple) car il représente le plus grand des secrets : dominer le « moi » pour arriver à la vie impersonnelle.
Les différentes organisations des couleurs
Dans toute culture humaine, on commence par la conception de l’univers, avec notamment la création du ciel et de la terre. La tradition dans laquelle nous vivons place la terre en tant que mère et le père en tant que ciel, mais d’autres conceptions, plus anciennes, existent (comme en Égypte antique où c’est l’inverse, Nout la voûte céleste étant une femme, et Geb, la croûte terrestre, son frère). L’homme se situerait entre ces deux instances, dont il est le fruit, et peut avoir pour rôle de les séparer ou de les faire communiquer. Dans la tradition du Tarot de Marseille, les Ciel est symbole de spiritualité et la Terre de vie matérielle.
Trois couleurs se déclinent avec un ton clair et un ton foncé (bleu, vert et jaune). Le noir, le blanc et le violet sont alors des teintes sans nuance. Quant au rouge et au beige, leur parenté place la seconde comme une variante plus claire de la seconde (le rouge de l’animalité, purement terrestre et actif, se spiritualise dans le beige – chair – qui symbolise l’humain). Mais ces deux couleurs restent séparées comme des entités à part entière. On voit alors se détacher un groupe de cinq couleurs franches, sans nuances claires et obscures : noir/blanc/rouge (les trois couleurs les plus connues de l’alchimie), « chair » (l’humain) et violet (l’impersonnel, l’androgyne). Dans cette organisation, la « chair » se trouve au centre du Tarot et forme l’horizon séparant ciel et terre. Dans le ciel, le blanc est tout au sommet : il contient toutes les autres couleurs et représente la pureté, l’immortalité, la perfection. De ce blanc divin part le bleu céleste puis le jaune rappelant la vibration du soleil. A la base, côté terre, se place le noir, le magma créatif, qui ne contient aucune couleur. Au-dessus de lui part le règne végétal avec le vert puis le rouge qui représente la puissance vitale. Enfin, le violet sert de cadre à ce rectangle. La couleur « chair » peut aussi être interprétée comme un orange mêlé de blanc. l’orange est la couleur de la croissance vitale active sans conscience divine. Ainsi, le jaune devient la couleur de la lumière céleste et le rouge celle du magma terrestre, de l’activité pure. Dans cette configuration, les couleurs franches sont donc noir/rouge/jaune/blanc (couleurs alchimiques) et le violet (qui est alors l’union mystique entre action réception.
On peut aussi organiser les couleurs dans deux autres schémas correspondant à la numérologie du Tarot : le premier fondé sur le double carré, l’autre s’inscrivant dans un cercle et s’inspirant du schéma symbolique du Monde.
Le schéma circulaire correspond à une vision du monde consistant à représenter la totalité comme un cercle, « univers en constante expansion né d’un point central ». Ce cercle est traversé par un horizon partageant Ciel et Terre. Ensuite, le cercle est divisé en deux verticalement (réceptif /actif), créant ainsi quatre quarts de cercle, auxquels on peut apposer le schéma formé par Le Monde, en attribuant à chaque élément la couleur correspondante. Ainsi, dans le quart haut gauche, on mettra la suite de Coupe, le centre émotionnel, associée au rouge de l’amour divin. Dans le quart haut droit, on aura la suite d’Épée, le centre intellectuel, avec la couleur bleu, aérien et céleste. Dans le quart bas gauche, on se retrouve avec la suite de Deniers, le centre corporel, associé au jaune de l’or. Enfin, la quart bas droit correspond à la suite de Bâton, le centre sexuel créatif, et à la couleur vert, l’activité naturelle. Le noir, quant à lui, reste à la base, tout en bas du cercle, représentant la terre. Le blanc est à l’opposé, au zénith du ciel. Le violet, couleur de l’androgyne, se place alors tout au centre du cercle. Dans cette organisation, on peut vite comprendre que les nuances claires doivent être au plus près du ciel, et les nuances foncées près de la terre (dans ce schéma on verra donc le beige, la couleur « chair », comme la nuance claire du rouge).
On se retrouve donc avec certaines correspondances :
- Terre – actif = rouge et « chair »
- Terre – réceptif = jaune et orange (ou jaune foncé/or)
- Ciel – actif = bleu ciel et bleu foncé
- Ciel – réceptif = vert clair et vert foncé
- Centre = violet
- Zénith = blanc
- Nadir (point opposé au zénith, le point le plus bas) = noir
Le schéma rectangulaire comme on le connaît inclut un côté réceptif (gauche) et un côté actif (droite). Si on considère que les couleurs « chaudes » sont actives et les couleurs « froides » réceptives, on peut alors les répartir dans un double carré qui respecte les lois d’orientation du Tarot.
Ainsi, on voit qu’il n’y a pas une façon unique et exclusive d’organiser les couleurs du Tarot de Marseille : selon la lecture, les différentes structures que nous avons vues peuvent aider à interpréter les symboles. Vouloir organiser les couleurs dans un seul et unique schéma reviendrait donc à limiter leurs significations.
Et voilà, nous avons enfin fait le tour de la présentation générale du Tarot de Marseille. Je reviendrais sur ce très vaste et riche sujet un peu plus tard, dans un article consacré aux Arcanes majeurs et à leurs significations, puis dans un autre sur les Arcanes mineurs.
En attendant, je vous dis à vendredi prochain pour un nouvel article, qui sera consacré à la symbolique autour du nombre 7.
Prenez soin de vous et que Mélusine vous garde…
Sources
- « La Voie du Tarot » d’Alexandro Jodorowsky et Marianne Costa
- « Histoire du Tarot – Origines, iconographie, symbolisme » d’Isabelle Nadolny
- Le site des éditions Camoin
- Pages Wikipédia liées au Tarot
- Mes connaissances personnelles (notamment mon étude de la Bible réalisée durant mon cursus universitaire en Histoire de l’Art)